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Culture et patrimoine numérique : la muséologie virtuelle en quatre exemples

Malgré un contexte sanitaire particulier, la septième édition de la Nantes Digital Week a pu être maintenue durant cette deuxième quinzaine de septembre. Une occasion en or pour la curieuse que je suis d’explorer toutes les richesses que le numérique nantais nous réserve mais aussi de voir ce qui peut se faire ailleurs avec l’intervention d’intervenants extérieurs à la métropole nantaise.

Le 17 septembre, lors de sa journée d’inauguration, la Nantes Digital Week a été l’hôte durant toute une journée de la rencontre Culture et patrimoine numérique pour la deuxième année consécutive. Cette nouvelle édition s’est tenue dans la Halle 6 du quartier de la création sur l’Ile de Nantes et pouvait aussi être suivie en ligne pour répondre au mieux aux conditions sanitaires en vigueur. Universitaires, chercheurs, industriels, institutionnels et citoyens ont pu ainsi profiter de conférences, de démonstrations, de tables rondes et de débats de scientifiques autour de la culture et citoyenneté, de la muséologie virtuelle et du patrimoine numérique.
Sensible à la culture et férue de musées en tous genres, je souhaite vous présenter les quatre interventions qui sont venues animer la session Muséologie virtuelle que j’ai trouvées passionnantes à souhait !

https://twitter.com/laurentflaroche/status/1306525731128836103
Les participants à cette deuxième session consacrée à la muséologie virtuelle.

Un projet sonore pour Le Chronographe de Rezé

Implanté sur le site de Saint-Lupien, le centre d’interprétation archéologique du Chronographe invite depuis janvier 2017 à remonter 2000 ans pour partir à la découverte de Ratiatum et de l’histoire de Rezé.

Sur place, aux côtés des objets issus de fouilles, des maquettes et des animations interactives, c’est seulement une petite partie des vestiges de la ville romaine qui sont visibles par les visiteurs. Partant de ce constat Pierre Bosquet, chargé de médiation numérique au Chronographe, a exploré les possibilités existantes pour donner vie à ce site archéologique et aux espaces extérieurs de ce centre d’interprétation qui sont fréquentés par les habitués du musée mais aussi par les habitants de Rezé que le lieu soit ouvert ou non.

C’est ainsi que Le Chronographe a pu se rapprocher du concours EXPE[Nantes] porté par la RFI Ouest Industrie Créative. Ce challenge interdisciplinaire à destination des étudiants et jeunes diplômés vise à tester in situ des solutions innovantes pour l’espace public et les lieux partagés comme nous l’a fort bien présenté Astrid Corbineau, cheffe de projet à Ouest Industries Créatives.

En février 2020, c’est la proposition Phonostrata présentée par Corentin Gilbert et Gustave Bainier qui a remporté le Grand Prix du Jury du concours EXPE[Nantes]. Les deux étudiants ont réfléchi à un projet de bornes sonores interactives spécialement conçues pour le site archéologique du Chronographe. “Par rapport aux enjeux qui ont été énoncés par Le Chronographe, il y avait cette envie d’avoir un dispositif interactif et dans notre proposition nous avons décidé d’ajouter l’adjectif “acousmatique”, adjectif signifiant “ce qui donne à entendre, ce que l’on ne voit pas”, ce qu’on trouvait assez à propos vis à vis de la problématique.”, explique Corentin Gilbert, en double diplôme architecte-ingénieur à l’ENSA Nantes et l’École Centrale de Nantes.

Via plusieurs balises, l’objectif est de s’adresser à l’ensemble des usagers qui fréquentent le site. Le dispositif Phonostrata est amené à fonctionner sur deux modes distincts. Une temporalité passive lors de la détection d’une présence restitue des fragments sonores du passé, à l’époque faste de Ratiatum et une temporalité active s’adresse plus aux usagers qui s’intéressent au Chronographe et ses éléments archéologiques avec la mise à disposition de contenus de médiation ou l’écoute d’un témoignage scénarisé.

Avec le concours EXPE[Nantes], la phase de prototypage fait entièrement partie du processus de création. Corentin et son camarade souhaitaient donc tester la faisabilité technologique et les différents scénarios d’usages imaginés sur une première balise suite à l’obtention de leur prix. “La phase de prototypage a été fortement contrainte par rapport au contexte que nous avons connu et donc c’est actuellement en pause pour une durée indéterminée”, regrette Corentin tout en gardant le sourire. Le projet est actuellement en pause, en attente des matériaux des fournisseurs. Au final ce seront peut-être neuf balises qui viendront occuper le site du Chronographe si le test est concluant, affaire à suivre donc !

J’ai aimé : 

  • découvrir l’existence du concours EXPE[Nantes].
  • l’appel à l’audio pour explorer un site dont on ne voit pas tous les vestiges.
  • la proposition de deux modes disponibles pour visiter le site en fonction de ses envies et du temps dont on dispose.

Capturer et valoriser notre patrimoine industriel

Dans cette deuxième intervention, Paul François (doctorant au laboratoire LS2N), Florent Laroche (laboratoire LS2N) et Jean-Louis Kerouanton (laboratoire CFV) présentaient leurs travaux autour des Forges de Nay dans les Pyrénées et de la Cale de La Ciotat. L’enjeu étant ici d’avoir recours à l’usage du numérique pour capturer et valoriser notre patrimoine industriel.

En débutant sa présentation sur les Forges de Nay, Paul François explique : “Quand on parle de muséographie virtuelle, c’est vraiment un objet d’études intéressant car il s’agit de montrer au public ce qu’il ne peut pas voir en vrai puisque le site n’est pas accessible pour des raisons de sécurité.” En effet, sur place c’est la végétation qui retient certaines chutes de pierres, la visite des lieux est donc relativement dangereuse et c’est là que le numérique et les nuages de points ont toute leur place.

Les chercheurs ont pour projet d’entreprendre une restitution des lieux sur une maquette virtuelle afin de montrer à quoi pouvait ressembler le site lors de son activité au XVIIe et XVIIIe siècle, même s’ils ne possèdent qu’une vision partielle du site comme il n’y a pas eu de campagne de fouilles préalables. “C’est un travail en cours qui va se développer, pour l’instant nous en sommes à la phase de recherches historique et archéologique, puis viendra tout le travail de médiation avec cette contrainte qui est qu’on ne peut pas aller sur le site”, commente Paul François à ce sujet. À l’avenir, Paul François et Florent Laroche souhaiteraient intégrer ce type de restitution dans des applications mobiles pour permettre aux touristes de la région du pays de Nay de découvrir ce lieu inaccessible au grand public et de comprendre l’importance économique qu’a pu avoir ce lieu pour la région à une certaine époque.

Dans un autre registre, la Cale de la Ciotat, qui est actuellement en cours de destruction pour être remplacer par un équipement plus moderne, ne pouvait évidemment pas être mis dans un musée avec plus de 200 mètres de long. Elle a pourtant une forte valeur historique, alors comment la préserver ? Comment la montrer au grand public après sa disparition ?

Ici, Paul François et Jean-Louis Kerouanton ont utilisé trois modes de numérisation en ayant recours à la photogrammétrie au drone (pour obtenir de belles vues d’ensemble de la cale), la photogrammétrie au sol (avec un appareil photo qui permet de bien documenter les structures verticales qui ne sont pas toujours bien prises en compte par drone) et la lasergrammétrie (pour l’intérieur de la cave et ses recoins sombres).

https://twitter.com/FriponCausal/status/1306530827023593474
Les différents nuages de points permettront de capter tous les détails de la cale de La Ciotat.

Ces trois relevés ont permis à l’équipe de croiser les données via leurs nuages de points respectifs pour obtenir un gros nuage de points global. Leur travail de recherche est toujours en cours et arrive à présent la question du partage des données : ce nuage de plus d’un milliard de points est en effet très complexe à manipuler, il ne peut pas être partagé au grand public tel quel. Pour contourner ce problème, Paul François et Jean-Louis Kerouanton vont avoir recours à une solution proposée par MG Design. Le nuage de points sera alors accessible par un navigateur Internet classique et pourra être complété par d’autres informations. “Indiquer des points d’intérêts permettra d’ajouter de la documentation sur le sujet et permettra aussi au visiteur d’avoir une expérience sur cet objet et d’en connaître plus sur son contexte et son histoire”, conclut le doctorant.

J’ai aimé : 

  • découvrir les coulisses de la réalisation d’un nuage de points.
  • mieux comprendre le travail des chercheurs sur le terrain.
  • le fait de rendre accessible un lieu non ouvert au public ou disparu et le travail mené pour présenter ces maquettes en collaboration avec les organismes sur place.

Une maquette 3D pour le château des ducs de Bretagne

Lors de cette intervention, c’est Lydia Labalette, administratrice projets et exploitation au château des ducs de Bretagne et Jocelyn Martineau de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) qui ont pris la parole. Tous les deux sont revenus sur les différentes étapes qui ont mené à l’installation d’une maquette 3D dans le musée nantais au début de l’été 2020.

Passer de la simple idée à la création d’une maquette 3D pour le château de Nantes a été actée en 2019. “On peut même se demander pourquoi nous n’avons pas fait ça avant parce que ce n’est pas du tout innovant aujourd’hui, c’est quelque chose qui existe dans de nombreux sites”, explique Lydia Labalette avant de poursuivre “on avait enfin la matière historique et archéologique pour le faire puisque l’histoire du château, même si ça peut vous paraître assez incroyable, n’était pas si documentée que ça et si connue sur toutes les époques.”

La matière historique et archéologique en poche, le projet pouvait donc débuter. Bien entendu, sa mise en route venait aussi du souhait de valoriser l’Histoire du château afin de répondre à l’attente de certains visiteurs qui s’attendent parfois à visiter un château classique et non le musée de la ville de Nantes. Avant de débuter la conception de la maquette, un benchmark des possibilités a été réalisé, l’équipe projet a sondé la disponibilité de ses employés et de ses partenaires. Notons aussi que l’apport d’un mécène pour le financement de ce projet a joué aussi un rôle important pour le lancement du projet. Tous les voyants étaient donc au vert pour débuter !

Pour la conception de la maquette 3D du château, l’équipe projet a souhaité s’entourer des meilleurs spécialistes de l’histoire du château (et ceux du Val de Loire) et de Nantes en faisant appel à plusieurs archéologues, historiens et historiens de l’art afin de former un comité scientifique. Côté technique, la modélisation a été réalisée par Cent Millions de Pixels et MG Design, deux entreprises de la région spécialisées dans la numérisation patrimoniale.

Une importante recherche documentaire préparatoire a été nécessaire et au total ce sont douze séances de travail de 4 heures (à raison d’une séance tous les 15 jours) qui ont rythmé l’ensemble de l’année. Plusieurs étapes ont été nécessaires à l’élaboration de la maquette 3D avec entre autres, la préparation des gabarits pour chaque époque, la modélisation, la rédaction des textes et le choix des iconographies (sans oublier les phases de corrections entre chaque étape !). Finalement entre la consultation au printemps 2019 et la mise en place d’un grand écran tactile à disposition du public le 5 juillet 2020, une grosse année de travail s’est écoulée !

Aperçu vidéo de la maquette 3D, l’option pluie est même disponible pour coller à la réalité du terrain, quel souci du détail !

Cet écran multitouch, accessible dans la salle 7 du château des ducs de Bretagne, est destiné avant tout à un usage individuel mais une projection pour les groupes via les médiateurs du château est aussi possible sur grand écran dans la salle 6. Personnellement, j’ai hâte de pouvoir observer cette maquette en détails car pour chacune des cinq époques représentées, cinq points d’intérêts avec textes (traduits en trois langues) et images ont été ajoutés à la modélisation, cela promet de belles révélations sur le château. Le parti pris graphique laisse place à un aspect dessiné, proche de l’aquarelle et on peut même opter pour la version jour/nuit et le choix de la saison. “On a voulu être innovant de ce côté, cela apporte un rendu plus vivant, plus animé”, commente Lydia Labalette.

https://twitter.com/ChateauNantes/status/1306156294814994432
Quelques précisions supplémentaires avec Bertrand Guillet, directeur du château des ducs de Bretagne.

Avec son ergonomie simple et intuitive, les premiers retours de l’été émis par les membres de l’équipe du château des ducs de Bretagne et les visiteurs au sujet de la maquette 3D semblent très positifs. En moyenne, le grand écran tactile est manipulé entre 5 à 7 minutes par chaque visiteur, si bien qu’un phénomène de queue pour accéder jusqu’à la table a été observé durant l’été.

J’ai aimé : 

  • le déroulé de la présentation qui présente pas à pas les étapes clés du projet et ses coulisses.
  • l’intervention de Jocelyn Martineau de la DRAC (non retranscrite ici faute de place et d’éléments pour illustrer ses propos) qui explique les contraintes de reproduction et les partis pris retenus pour certaines représentations du château.
  • le rendu de la maquette 3D, le style aquarellé me fait penser à un carnet de voyage dessiné.

Voyager dans le temps avec des photos d’archives

Pour la dernière conférence de cette session dédiée à la muséologie virtuelle, on prend la direction du nord de la France pour découvrir l’application Ici Avant née de la rencontre de Christine Aubry (ingénieur de recherches à l’Institut de recherches historiques du Septentrion (IRHiS) de l’Université de Lille) et d’Arnaud Waels (entreprise Devocité).

Ici avant, un voyage dans le temps permet une immersion dans le passé en 360° en réalité augmentée, une belle manière de déambuler en ville et de s’offrir des fenêtres sur le passé tout au long de sa promenade. “C’est une expérience sensorielle dans le temps qui s’appuie sur des images d’archives localisées”, explique Christine Aubry avant de préciser que le véritable atout technique de l’application réside dans le fait que les images enregistrées dans l’application correspondent à l’emplacement exact du photographe de l’époque. Avec cette application, l’éventail du public visé reste assez large : il peut s’agir des habitants des villes concernés par l’application, des visiteurs français ou étrangers et des personnes sensibles au tourisme de mémoire, très présent dans les Hauts-de-France. Pour le moment Ici Avant est disponible à Lille, Roubaix et Tourcoing, mais pourrait très bientôt faire des petits, c’est à surveiller de près. On pourrait très bien imaginer une collaboration avec Nantes Patrimonia par exemple, pourquoi pas ?

Lors de sa création de nombreuses photos de 14-18 ont été ajoutées pour commémorer le centenaire de la Grande Guerre.

Lorsque l’utilisateur plonge dans cette expérience, il peut sélectionner la ville de son choix et une époque spécifique, cela lui permet de comprendre les conditions concrètes de la vie d’une ville à une période donnée. Une carte interactive lui sert ensuite de guide et le parcours en réalité augmentée peut alors débuter. Si on le souhaite, un accès à une documentation plus poussée est possible pour compléter sa visite : commentaires, témoignages littéraires et oraux, journaux d’époque, plans viennent enrichir la présence des photos et des cartes postales.

L’application a été expérimentée auprès de la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société de Lille, de la Métropole Européenne de Lille et de différentes associations. Christine Aubry a aussi pris le temps de présenter cet outil aux guides touristiques. Avec leurs smartphones en poche, un guide peut indiquer à ses clients qu’une vue vintage est disponible à certains emplacements lors de leurs déambulations, ce qui permet une belle complémentarité entre les deux. Hâte de pouvoir tester ça lors d’un prochain détour par Lille !

J’ai aimé : 

  • plonger dans le passé tout en utilisant un objet bien de notre époque.
  • l’évocation du tourisme de mémoire, finalement peu mis en avant en dehors des Flandres et qui pourtant s’avère être passionnant.
  • l’autonomie que l’on peut avoir lors de sa visite en consultant ou non les documents.

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Justine BRIOT
Justine BRIOT

Freelance en communication, je propose mes services en social media management et en rédaction print & web aux acteurs du tourisme et de la culture, aux artisans créateurs et aux propriétaires de commerces de proximité. Prenez le temps de découvrir mon site internet suite à la lecture de mes articles de blog.

Bonne visite et à bientôt !

JB

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